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Morgane Baroghel-Crucq

Morgane Baroghel-Crucq est artiste et artisane textile. L’artiste travaille le tissage, avec diverses matières, notamment le métal. C’est par le mélange original de matières minérales et organiques que Morgane produit des paysages dans lesquels nous avons envie de plonger. La matérialité de ses œuvres offre un regard nouveau sur la nature et le monde qui nous entourent.

CONSCIOUS. Pouvez-vous nous présenter votre parcours et votre démarche artistique en quelques mots ?

Morgane Baroghel-Crucq. Dans ma pratique, tout commence avec l’outil. J’ai fait la connaissance de mon premier métier à tisser lors de mes études au Département textile de l’ENSCI, à Paris. Mes études précédentes en design m’avaient apporté un processus de questionnement qui me permet de rebondir et de trouver des solutions. J’aime comprendre comment fonctionnent les éléments entre eux. J’ai rapidement compris que les possibilités étaient infinies en tissage et j’ai tout de suite souhaité expérimenter. J’ai fait l’acquisition de mon premier métier à tisser fin 2013, il y a presque 10 ans. Ma pratique aujourd’hui implique une certaine contemplation. J’observer dans le silence la Vie et ses paysages, puis je dessine avec les fils les mouvements des roches, des strates, je tente de tisser l’impermanence de la lumière sur l’horizon. Au-delà de l’esthétique, c’est le processus qui m’inspire : la force du vent qui sculpte les dunes, le ruissellement de l’eau qui écrit dans la roche. Le tissage est l’art du lien, de la connexion, du croisement. Chaque fil de chaîne dépend de chaque fil de trame pour assurer la solidité de l’ensemble. Comme dans un tissu, l’interdépendance des éléments qui créent la Vie et ses paysages me fascine. La pratique du tissage est une métaphore répandue de la Vie, présente dans de nombreuses cosmogonies : Kokyangwuti, femme araignée dans la mythologie Hopi, les 3 Moires, divinités grecques… Tout cela fait partie du grand Tout qui m’inspire tant.

CONSCIOUS. Il y a peu, Morgane Evrard, historienne de l’art, me disait que vos œuvres lui rappelaient la quête de scintillement, de nuances et de détails présente dans les paysages peints des Impressionnistes, qu’en pensez-vous ?

M.B.-C. J’aime assez l’idée de quête. La quête en termes de recherches plastique, formelle, matérielle, mais aussi spirituelle. L’impermanence de la lumière et des éléments, le mouvement, est au centre de mon travail. Les œuvres impressionnistes témoignent bien sûr de ce changement permanent de la nature et de la lumière, mais il y a plus : devant une œuvre impressionniste on ressent une humilité et un respect pour ce qui est observé, l’acceptation de ce qui est. Une quête d’authenticité. Une des plus belles quêtes est selon moi d’essayer de comprendre notre milieu, on ne peut respecter que ce que l’on comprend, que l’on connaît. Je ressens une réelle gratitude de pouvoir évoluer au sein de la garrigue, des calanques, de la Sainte Victoire. Tout y est abondant et puissant : le soleil, le Mistral, les odeurs de pin et d’herbes exacerbées par la chaleur, les chants en réunion des cigales, la terre rouge… tous les sens sont mobilisés. Ce milieu est une source d’inspiration et d’épanouissement infinie et ma quête au quotidien est de matérialiser ces émotions, cette expérience.

CONSCIOUS. Pensez-vous que la matérialité d’une œuvre soit essentielle ? Peut-on, à votre avis, faire sans ?

M.B.-C. L’immatérialité d’une œuvre est un sujet qui, pour l’instant, ne m’attire pas. Sans parler du fait que la matérialité est indissociable de ma pratique d’artisane, (de la transformation de la matière par la manipulation) je suis convaincue que notre dessein ici est une expérience matérielle. On dit que « Le corps c’est ce qu’a choisi l’esprit pour expérimenter la matière ». Je suis trop inspirée par mon expérience matérielle et sensible avec un besoin d’authenticité pour m’en détacher. Faire sans la matérialité d’une œuvre reviendrait à renier notre propre matérialité, par conséquent de nous détacher de notre milieu alors que nous en sommes dépendant.

CONSCIOUS. Comment qualifieriez-vous votre métier ? Artiste ? Artisane ? Aucun des deux ? 

M.B.-C. Je n’ai jamais aimé les cases, les frontières. Ceci dit, j’assume mon statut d’artiste-artisane : je produis moi-même mes œuvres tissées, j’ai acquis des compétences techniques que je pratique tous les jours depuis 10 ans. Aujourd’hui je peux les transcender et de m’exprimer de manière complexe. J’aime faire l’analogie avec l’apprentissage d’un langage : lorsque on apprend une nouvelle langue, on s’exprime de manière sommaire, avec peu de mots. Mais lorsqu’on devient bilingue, on peut s’exprimer de manière complexe, profonde, poétique, subtile. En tant qu’artiste, j’utilise mon langage textile pour m’exprimer de la manière le plus, je l’espère, subtile et profonde.

L’exposition Traversées géopoétiques avec les œuvres de Morgane Baroghel-Crucq aura lieu à CONSCIOUS du 12 octobre 2023 au 12 janvier 2024.

Entretien réalisé par Clémence Hénin.