
‘Parallelotopia’ • Garance Matton & Rob Miles
15 mars, 15:00 - 24 avril, 18:00
Free
De l’un à l’autre ——————- quelque chose affleure à la surface entre eux. Une question,une matière. Ils en sont conscients, conscients aussi l’un de l’autre. Tout se réfracte à travers cette matière. Elle capte les contours de toutes les choses dans la pièce, puis les projette de biais. Le nouvel agencement nécessite un angle ajusté pour être perçu dans la lumière. Il se déploie différemment selon chacun et selon ceux qui franchissent la porte, sortent dans la rue et s’éloignent. Il est altéré après le sommeil, où ce qui est rêvé se façonne dans les heures embouteillées du jour, tandis que la main bouge avec fraîcheur au matin. Elle a l’œil qui s’oriente au nord-est. Un arbre entier ploie sous le vent et une ligne s’enroule autour d’une feuille de papier, épinglant sa pensée. Tout penche dans la même direction. La synchronisation rend le mouvement souple, et les corps glissent avec aisance dans l’espace. Une main gantée, d’un geste maîtrisé pointe la ligne d’horizon encadrée par la fenêtre. Les bords scintillants d’un rideau noir coupent à travers champs. Un œuf brille sous les couvertures. Regarder, c’est chercher-voir, là où les contours durs se délestent de leur carapace pour devenir tendres, perméables et transparents. A lui, maintenant. Il s’incline dans le rail de lumière, ajustant l’ordre de son visage. Un œil tombé lit la lettre à l’envers, les lignes se rejoignent alors que le mot manque la langue.
Comme un kit d’assemblage, le mot valise « parallelotopia » se réfère à un ensemble d’éléments utilisés par Garance Matton et Rob Miles comme outils de composition : la forme (parallelotope), l’agencement (parallèle) et le lieu (topos). Avec le préfixe « para » qui signifie à la fois « à côté de » et « protéger contre », le titre traduit un intérêt mutuel pour les notions spatiales de proximité, de séparation et de simultanéité ainsi que pour la question de leur représentation.
Montrant des oeuvres faites avec une variété de médiums – incluant huiles sur toile, collages, plaquettes en céramiques, bois découpés et un paravent réalisé en collaboration – l’exposition du duo reste une exploration à multiples facettes autour de la création d’une image figurative et de la représentation picturale de l’espace. Comment l’espace peut être évoqué et composé est une fascination partagée par Matton et Miles : dans une image (comme illusion), sur une surface peinte et dans la forme de l’objet lui-même. Cherchant des moyens de dépasser le point de vue unique, ils jouent avec différents systèmes perspectifs, les combinent et les brisent, il en résulte des configurations complexes qui mettent l’accent sur l’expérience multidimensionnelle d’un lieu. Cette réflexion se cristallise à travers les œuvres dans le motif du parallélogramme. Utilisé comme un dispositif formel, optique et symbolique pour structurer l’acte de regarder, il se manifeste sous différentes formes : un mur, une fenêtre, une table, un faisceau de lumière,une image dans l’image. Comme écran, le parallélogramme segmente l’espace figuré, permettant la coexistence de différentes scènes ou moments. Répété sous forme de grille de lignes diagonales, il structure la surface en un plan incliné, sans profondeur ni point de fuite, comme si l’image était vue d’une position mobile et surplombante. Scindant et dédoublant, pliant et penchant, cette forme oblique offre aux artistes des manières de faciliter les va-et-vient entre planéité et perspective ; entre surface et profondeur. Il maintient ainsi l’espace de la peinture indéterminé.
Les deux artistes s’intéressent aux espaces en devenir. Pour Matton c’est avant tout l’atelier,qu’elle explore à la fois comme une scène du quotidien, où les choses sont continuellement créées et modifiées, et comme une projection d’un espace mental. En réponse à la nature fluctuante de l’atelier, elle recherche, à travers la peinture, un moyen de produire une représentation finie d’un état (matériel et imaginaire) d’inachèvement. Les images de Miles naissent de la traduction, sur la surface plane du carnet de croquis, de scénarios quotidiens et d’interactions sociales. Dessinant sur le vif ou à partir d’un souvenir récent, il explore intuitivement les dynamiques spatiales et relationnelles changeantes. A partir de ces esquisses, Miles développe des compositions qui jouent avec différentes manières d’entrer et de sortir de l’espace peint, le faisant ainsi se plier et se déplier en fonction du regard du spectateur.
Il y a une qualité accueillante dans le travail des deux artistes ; une douceur initiale et une familiarité quotidienne, qui s’ouvrent sur une fragmentation complexe. De différentes manières, leurs œuvres sont façonnées par une attention portée aux plaisirs et aux défis du regard et du dessin, à l’assemblage et au démontage, et par l’intention délibérée d’inviter le spectateur à une réponse active et engagée.
Bryony Bodimeade