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Alice Gauthier, ‘Poussières vivantes’
12 mars, 19:00 - 27 avril, 19:00
FreeFace aux œuvres d’Alice Gauthier, une plongée s’impose. Pourtant celle-ci ne saurait se circonscrire à une seule direction. Certes nous pouvons choir dans les tréfonds d’une eau glacée jusqu’à être dispersé*es en une myriade de touches. Mais, inversement, en miroir d’une descente aquatique vers les abysses, le ciel nocturne nous appelle. Il fascine l’œil et conduit à une projection astrale. On demeure dès lors suspendu*es entre la chute et l’élévation, pris*es en tenaille dans un horizon fluctuant. Ce dernier dessine une courbe infléchissant les certitudes et reliant divers mondes. Là, s’épousent et se contrastent le céleste et le terrestre, l’humain et le non humain, le réel et l’imaginaire. Cet arc, à la fois dual et protecteur, convie à une traversée, conduisant le regard à voguer sur des lignes sinueuses. Ces dernières caressent les contours d’un corps endormi, effleurent les crêtes rocheuses d’une montagne, arpentent le col d’un volcan où ondulent sur les vagues d’une mer calme où se lovent des reflets de lune et d’étoiles. Du dessin, à la peinture, en passant par la lithographie, le registre des techniques picturales et graphiques d’Alice Gauthier est varié. Si elle maitrise avec précision des gestes traditionnels, elle ne cherche pas moins à en repousser les limites afin d’expérimenter de nouveaux procédés. Des huiles sur toiles façonnées du bout des doigts au dessin réalisé à l’aide de pigments libres, elle actualise l’art rupestre. Ailleurs, par un mélange d’encres de gouaches et de divers liants déposés sur papier glacé, sa démarche use de méthodes empiriques alliant savamment l’aléatoire et le contrôlé. Sur ces pages lisses, les couleurs s’entremêlent et circonvoluent au gré de l’écoulement puis du séchage lent de la matière. Des nervures aux nuances hallucinées se déploient suivant le principe de la morphogénèse. Les œuvres sur papier cristallisent par là des moments de latence où la matière mute. Elles dévoilent l’empreinte d’une genèse habituellement insaisissable, d’un instant de micro-bigbang où les réactions s’enchainent et fertilisent une multiplicité de formes. Ces flammèches croissent à la manière d’arborescences. Elles irriguent l’imaginaire tout autant qu’elles captivent le regard. Après une observation attentive de ces phénomènes alchimiques donnant naissance à des paysages fictionnels, l’artiste réintervient à l’aide de quelques lignes ou figures. Parcourant sillons incandescents et plages de couleurs profondes, elle fait émerger des êtres, corps ou regards animant de présences ces territoires fantasmatiques. Entre quiétude et tension, les personnages qui parcourent les méandres des tracés comme ceux des coulures de peinture, alternativement, y dansent, y dorment, s’y enlacent où s’y liquéfient. Non déterminées, parfois réduites à de simples silhouettes ou à des ombres, ces figures proviennent tant de l’inconscient de l’artiste que d’une réponse aux formes générées sur la feuille ou sur la toile. L’accompagnant depuis maintenant plusieurs années, elles signent de leur présence des forces plurielles. Elles se font l’écho des croyances animistes, projetant en toute chose une âme ou un esprit, invitant à réfléchir le monde en dehors d’une relation anthropocentrée. Elles incarnent également les êtres que nous côtoyons sur la rive de nos rêves voire de nos cauchemars. Enfin, évoluant régulièrement au cœur de constellations imaginaires, elles rappellent que nos atomes portent en eux la mémoire des poussières stellaires qui les ont initialement engendrés 1 . Les œuvres d’Alice Gauthier semblent ainsi naitre d’une moisson d’étoiles. D’un paysage de poudres pigmentaires à ceux d’encre, de gouache ou d’huile, nous traversons des contrées propices à l’éclosion d’une pléiade de récits dont il reste à chaque spectateur*trice d’activer l’interprétation.
1 Voir Hubert Reeves, Poussières d’étoiles, Paris, Points, 2014.
Thomas Fort
Commissaire d’exposition indépendant, critique d’art et enseignant
—Credits photos – Snehargho Ghosh